Avec la récente sortie de la saison 2 de la série Validé qui bat des records d’audience, le rap français semble ne s’être jamais aussi bien porté. Comment expliquer un tel succès commercial ? Retour sur une histoire riche et une industrie bien rodée, qui occupe de plus en plus de place au sein du paysage musical français. Oui ma gâtée.

Une genèse dorée

L’histoire du rap français commence par celle du mouvement Hip-hop. Ce mouvement artistique issu des États-Unis arrive en France au début des années 1980 et rencontre un franc succès chez les jeunes issus de quartiers populaires. En 1984, l’émission HIP-HOP est diffusée sur TF1, une véritable révolution dans l’audiovisuel français qui permet de faire connaître le Hip-hop et le rap à un public plus large. Il s’agit de la première émission nationale sur la culture hip-hop au monde. C’est aussi l’année de la sortie de l’album du DJ Dee Nasty, considéré comme le tout premier album rap en France.

Les années 1990 vont être la décennie de la médiatisation, parfois appelée “l’âge d’or du rap français”. Le contexte économique et social va accélérer son ascension. Des émeutes surviennent dans certains quartiers et les médias vont chercher des portes-paroles pour faire valoir des revendications, mais surtout un sentiment d’abandon pour des quartiers marginalisés. La compilation Rapattitude en 1991 va lancer les grands artistes rap de la décennie. MC Solaar est l’artiste rap le plus connu de l’époque et son album Qui sème le vent récolte le tempo, s’écoule à 400 000 exemplaires, en 1990.


Un curieux concours de circonstances va aussi projeter le rap sur les ondes radio. En 1994, Jacques Toubon, alors Ministre de la Culture, passe une loi obligeant à passer sur les ondes, au moins 40% de chansons françaises. Cette mesure visait à protéger les productions françaises contre les grandes écuries américaines. Le rap va profiter de ce créneau pour commencer à faire sa place sur les stations radios grâce à des sons plus commerciaux qui n’effraient pas les annonceurs publicité. Skyrock prend même le risque de passer en format urbain, en 1996, pour devenir la première radio nationale au monde à être consacrée au rap. Le succès qu’on lui connaît donnera raison à Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock.


La fin de la décennie va être celle des grands crus du rap français, parmi les plus grands succès, nous avons : Première consultation de Doc Gynéco en 1996 L’école du micro d’argent de IAM en 1997, NTM de suprême NTM, mais aussi Panique celtique de Manau en 1998. En 2000, 113 remporte le prix de révélation de l’année, pour leur album les Princes de la ville, une grande première pour des artistes urbains. Leur entrée en scène à bord d’une 504 fait partie des grands moments de la cérémonie.

Le stream, deuxième révolution du rap français

Après des débuts rêvés, le rap français marque un coup d’arrêt dans le début des années 2000. Une nouvelle vague d’artistes très talentueuse émerge (Kery James, Booba, Diam’s, Youssoupha, Rohff, Psy 4 de la Rime, Orelsan…), mais les grands succès commerciaux sont beaucoup moins nombreux, les raisons sont multiples : D’abord le rap américain et le RnB font un retour en force, mais c’est surtout le piratage illégal qui va faire chuter les ventes. Le comptage d’album va être complètement faussé par ce commerce parallèle.
Les géants du streaming (Spotify, Deezer, Apple Music…) vont relancer une industrie musicale exsangue et notamment le rap français.


La logique de vente va être complètement modifiée, on passe d’une logique d’achat (1 achat en magasin = 1 vente) à une logique d’écoute avec des équivalences en ventes physiques. Le calcul est assez complexe, mais celui-ci va propulser le rap français à des niveaux de ventes très importants. Les chiffres disponibles sur le site du syndicat national de l’édition photonique sont éloquents : parmi les 20 plus grands vendeurs de singles de l’année 2020, 13 sont des rappeurs français.


Les jeunes sont les plus gros consommateurs de rap français et ceux-ci investissent les plateformes de streaming de manière plus prolongée. Concrètement, les 10-34 ans sont les plus représentés, mais ils écoutent surtout plus longtemps (La durée moyenne d’écoute est de 5h26 par semaine, et s’élève à 7h03 pour les 16-24 ans). Cette manière de consommer la musique est la plus simple, mais aussi la plus économique pour un public jeune, souvent en manque de moyens. Le streaming représente aujourd’hui 63% des parts de marché.

Une étiquette toujours d’actualité ?

Le rap aujourd’hui regroupe un nombre de courants artistiques très large, de la drill au RnB en passant par la trap ou l’afro trap. On peut se permettre d’aimer un style rap, mais pas un autre. Karim Hammou, sociologue au CNRS s’est posé la question de la pérennité de cette étiquette, qui regroupe des musiques qui n’ont parfois plus grand chose à voir entre elles. Le rap français est en pleine renaissance avec des artistes toujours plus créatifs avec des univers bien définis. Nous assistons sûrement au deuxième âge d’or du rap français. Le rap français doit sa situation à 30 ans d’histoire, il offre une tribune privilégiée à une part de la population que l’on n’entendait pas, mais sa forte démocratisation a aussi contribué à éteindre le message contestataire qui existait au profit d’une musicalité plus développée, plus commerciale.

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