L’Euro de football féminin s’est déroulé du 6 au 31 juillet 2022. La France s’est distinguée en allant en demi-finale et en s’inclinant face à une équipe allemande, déjà huit fois championne d’Europe. L’Angleterre, organisatrice de la compétition s’est finalement imposée après un parcours remarquable. L’heure est désormais de faire le bilan des évolutions de la pratique féminine du football en France. 

Une avance perdue 

En consultant le site officiel de la Fédération internationale de football (FIFA), on peut y lire des objectifs très ambitieux pour la décennie qui arrive : une plus grande représentation des femmes au sein des instances de la FIFA, des bourses de formation pour les entraîneures, une collaboration avec les fédérations membres pour établir des stratégies durables pour le développement du football féminin… Selon Paul Dietschy, historien du football, le IIIe siècle du football pourrait être celui du football féminin. Néanmoins, la France semble être à contre-courant du tournant pris par la FIFA à propos du football féminin. La Coupe du monde 2019 à domicile devait être un souffle nouveau pour permettre au championnat de se professionnaliser et aux licenciées d’augmenter. Elle n’a finalement eu qu’un impact limité – pas aidé par la crise sanitaire -. Si certains clubs, notamment l’Olympique Lyonnais (OL), ont très vite misé sur le football féminin, d’autres grandes écuries sont frileuses à l’idée d’accorder un budget trop important aux catégories féminines, peu rentables. On se retrouve donc avec des curiosités entre équipes masculines et féminines. Par exemple, l’Olympique de Marseille, 2e du dernier championnat de Ligue 1 chez les hommes, se retrouve à végéter en deuxième division. Ada Hegerberg, joueuse norvégienne qui évolue à l’OL, a eu des mots très durs sur le championnat de France le 8 février dernier. La lauréate du Ballon d’Or 2018 ne mâche pas ses mots, en dénonçant un championnat de France à “la ramasse”. Cette déclaration fait suite à la volonté de la Fédération Française de Football d’organiser l’Euro 2025. Malgré le fait que les gros clubs français – OL et Paris Saint Germain notamment – fassent rayonner la France au niveau européen, le championnat présente de grosses disparités économiques et contractuelles. Les autres championnats européens, pourtant à la traîne sur le championnat français il y a dix ans, commencent à rattraper leur retard et se professionnalisent, en Espagne et en Angleterre par exemple. 

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A travail égal, salaire inégal  

La FIFA assure que l’Euro de football féminin qui se tient actuellement en Angleterre est diffusé dans 195 pays : des chiffres très similaires à ceux de l’Euro masculin, l’an dernier, visionnable dans plus de 200 pays. Plus tôt, en mai dernier, la finale de la Ligue des champions féminine atteignait un record d’audience absolu en dépassant les 3,5 millions de spectateurs. La D1 Arkema bénéficie elle aussi d’une plus grande visibilité avec une diffusion de toutes les rencontres sur Canal + depuis la saison dernière, et une fréquentation croissante dans les stades. 

Yves Détraigne, sénateur de la Marne, en octobre 2021, rappelle que la deuxième joueuse de football la mieux payée au monde gagne environ 360.000 d’euros bruts par an, tandis que le joueur le mieux payé de Ligue 1 touche 36 millions d’euros bruts annuels. Pendant que des pays comme l’Australie ont décrété, en 2019, que les hommes et les femmes gagneraient le même salaire au sein de leurs championnats respectifs, la France patauge. 

L’argument le plus fréquemment utilisé pour justifier ce fossé est celui des retombées économiques bien plus faibles que chez les garçons. Mais comment permettre aux équipes féminines de s’entraîner dans des conditions optimales afin d’améliorer leurs résultats si les moyens financiers qu’on leur octroie pour le faire ne sont pas suffisants ?

En première division, le salaire moyen d’une joueuse est d’environ 3.500€. Mais, une part importante des joueuses ne gagnent pas autant car elles sont dites « semi-professionnelles » : elles ont des contrats à temps partiel et exercent dans le même temps une autre activité professionnelle. De plus, cette moyenne est faussée par des rémunérations très inégalitaires selon les clubs : l’OL et le PSG rémunèrent bien plus leurs joueuses que les autres clubs de D1. Par exemple, à Lyon, les joueuses touchent en moyenne 12.000€ par mois, tandis qu’elles ne touchent que 1.800€ à Issy ou Reims. Le système contractuel en D1 féminine fonctionne sur des contrats fédéraux. Il s’agit de contrats non professionnels, utilisés dans le football masculins pour les joueurs de 3e, 4e ou 5e division.  

 En France, quand on parle de Wendie Renard ou d’Amandine Henry, c’est une erreur de dire qu’elles sont pros. Elles sont footballeuses à plein temps et elles ont la chance de gagner assez avec leurs contrats fédéraux et des sponsorings privés, mais si on dit « professionnelles », c’est à défaut de mieux.

Hubert Artus à So Foot, le 9 juillet 2022 

Parler d’égalité salariale entre joueurs et joueuses sonne donc à ce jour comme un abus de langage. Pourtant, à l’échelle du championnat, certains clubs s’engagent : le président de l’OL, Jean-Michel Aulas, a décidé d’injecter chaque année un pourcentage des bénéfices des garçons dans l’équipe féminine.

Des primes qui fâchent 

Si les salaires et la non professionnalisation du championnat de France posent problème, les primes lors des grosses compétitions sont aussi décriées. Si les différences de primes en sélection peuvent s’expliquer stricto sensu par des réalités économiques, les bleues représentent la nation au même titre que les hommes. Les dotations de l’UEFA sont certes moins élevées, mais d’autres nations ont sauté le pas en garantissant la même prime entre filles et garçons. La FFF s’est engagée à reverser le même pourcentage des dotations – 30% des dotations- ce qui représente logiquement en somme absolue une différence. A l’international, les américaines ont obtenu l’égalité des salaires en sélection après une longue bataille juridique Les espagnoles empochent désormais les mêmes primes en séléction depuis juin 2022. Avant, l’Angleterre, le Brésil, la Nouvelle Zélande et le Danemark avaient sauté le pas. Ada Hegerberg, joueuse star de la sélection danoise avait refusé de jouer en sélection tant que les primes n’avaient pas été homogénéisées. 

Un parcours encourageant 

Le meilleur moyen de donner une nouvelle dynamique au football féminin est sans doute d’avoir une équipe nationale performante, qui gagne des titres. L’équipe de France sort d’une très belle campagne de coupe d’Europe et s’est heurtée à une équipe d’Allemagne encore un peu au-dessus. L’intérêt suscité par la compétition en France a été à la hauteur. La demie finale a été suivie par près de 7 millions de téléspectateurs – TF1 et Canal+ réunis – en pleine semaine. Le fédération doit maintenant essayer de surfer sur les succès de son équipe nationale afin de penser plus efficacement la structure de la pratique féminine du football. 

En clair, malgré une augmentation du nombre de licenciées qui reste stable à environ 10% du total d’adhérents, du chemin reste à effectuer afin de mettre dans les meilleures conditions les joueuses. Cela passe par une assise financière qui leur permet de pleinement s’impliquer dans la pratique de leur sport, et une réflexion structurelle sur le traitement du foot féminin. S’intéresser aux inégalités de genre dans le football, c’est finalement penser les inégalités hommes-femmes tout court. 

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