Septembre 2021, le raid est lancé. Vincent Bolloré, président-directeur général du groupe Vivendi (Canal+, Cnews, C8, Prisma Media) s’attaque à un autre géant du média français : le groupe Lagardère (Paris Match, Europe 1, le Journal du Dimanche). Déjà premier actionnaire du groupe Lagardère depuis juin 2021, le groupe Vivendi détient 27% du capital de son rival.

Début décembre, Vivendi a annoncé lancer un projet d’offre publique d’achat (OPA), en février 2022. L’opération est estimée à 610 millions d’euros. Cette transaction faite du milliardaire l’actionnaire majoritaire de deux des plus importantes sociétés de médias en France.

Quels dilemmes éthiques peuvent provoquer une concentration trop importante des médias par un même groupe de personnes ? Et quelles répercussions pour une information de qualité ?

Médias français : une ossature financière complexe

Le plus gros grief adressé à la presse est celui d’être celui d’être le relais des puissants, concentré dans quelques familles de milliardaires, en réalité, c’est un peu plus compliqué. Le Monde Diplomatique et l’observateur critique des médias, Acrimed, mettent à jour chaque année une carte non exhaustive des principaux propriétaires des grands groupes de médias français. La dernière en date ? Celle du 17 décembre 2021 montre que de nombreux médias sont détenus par les plus grandes fortunes, mais pas seulement. Certains médias sont effectivement la propriété de grands groupes industriels comme la famille Dassault (aéronautique civil et militaire) qui possède Le Figaro ou la famille Bouygues (immobilier et construction) qui détient TF1.

D’autres essaient de garantir leur indépendance financière, c’est notamment le cas du média d’investigation en ligne Médiapart. En 2019, l’équipe du journal a créé le Fonds pour une Presse Libre (FPL). Le but est de protéger l’autonomie éditoriale, la transparence dans la cession des parts du média. Les médias comme Le Poulpe, Disclose ou Radio Parleur font partie des bénéficiaires. Cette initiative fonctionne en grande partie grâce aux dons des particuliers.

Quant aux chaînes du service public, leur financement est un peu différent. France Télévision, Radio France, France 24 et Arte en collaboration avec l’Allemagne, sont rémunérés grâce à la contribution à l’audiovisuel public, un impôt forfaitaire payé par chaque français imposable. Cette taxe représente la plus grosse partie du budget de ces médias.

Quel(s) rempart(s) ?

L’appropriation de Lagardère par Vincent Bolloré crée, à juste titre, des inquiétudes sur une dégradation de la qualité d’information. Il existe néanmoins des organismes qui veillent à réguler le « marché des médias ». Le rachat de Lagardère est surveillé de près par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), ex-Conseil supérieur de l’audiovisuel, ainsi que par la Commission européenne. Concrètement, l’ARCOM peut assigner des sanctions financières, mettre en demeure, voire suspendre un média audiovisuel qui ne respecte pas ses obligations.

L’Autorité de la concurrence porte aussi un vif intérêt à cette union. Elle craint une entente entre Hachette et Editis, deux grandes maisons d’édition, appartenant respectivement à Lagardère et Vivendi. Le but de l’autorité de la concurrence étant de limiter la concentration des médias. Avec Lagardère, le groupe Vivendi posséderait pas moins de vingt médias très influents. Un problème concurrentiel se pose donc. De plus, Vincent Bolloré n’a pas attendu l’aval de ces organisations pour mettre un véritable coup d’accélérateur dans l’acquisition de Lagardère.

Au revoir l’esprit Canal…

La future ligne éditoriale des médias rachetés à Lagardère suscite aussi des inquiétudes comme en 2015. À l’époque, de nombreuses critiques ont émergé après le rachat en force de Canal+ par Vincent Bolloré.

La chaîne payante est marquée par un virage jugé réactionnaire, illustré par la chaîne d’information en continu CNews. « Les Guignols de l’info » sont supprimés en 2018 et Sébastien Thoen, humoriste historique de Canal+ est remercié en novembre 2020, pour avoir parodié « L’Heure des Pros » du journaliste sportif Pascal Praud. La chaîne 16 de la TNT laisse également la parole au chroniqueur et candidat à l’élection présidentielle de 2022, Eric Zemmour dans son émission « Face à l’info ».

Économie et journalisme, un équilibre fragile

La concentration des médias représente pour les industriels un domaine d’influence dans l’espace public et politique. Jean Jaurès, ancien membre de la chambre des députés, déclarait en 1897, dans la Revue Bleue : « Par la complication croissante de son outillage, l’industrie du journal est entrée dans la période de la grande industrie. Elle a donc besoin pour vivre de grands capitaux, c’est-à-dire de ceux qui en disposent.»

Retrouver confiance

Le rachat de Lagardère entretient cette crainte d’une presse qui est la propriété de grands milliardaires. À l’heure où la défiance envers les médias traditionnels est importante. 55% des plus de 18 ans se méfient des médias selon un sondage réalisé par l’Institut français de l’opinion publique (Ifop), en juin 2021.

Nicolas Vidal, journaliste indépendant, dans son livre Alerte – Médias, le grand errement (2021), souligne l’importance de revenir à un journalisme honnête. Mais, les médias sont aussi soumis à des contraintes économiques rendant difficile une transparence complète, ponctuée d’une concurrence de médias alternatifs, sur internet et sur les réseaux sociaux.

Sources :

  • Gerbaud, Dominique. « La presse française en manque d’une instance déontologique », Pouvoirs, vol. 147, no. 4, 2013, pp. 65-78.
  • https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/12/09/vivendi-lancera-son-opa-sur-le-groupe-lagardere-des-fevrier-2022_6105302_3234.html
  • https://www.monde-diplomatique.fr/2016/04/PINSOLLE/55201
  • https://www.lefigaro.fr/flash-eco/le-monde-enterine-la-creation-d-un-fonds-de-dotation-20210414
  • https://fr.wikipedia.org/wiki/Agence_France-Presse
  • https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-les-medias-et-linformation/
  • https://fondspresselibre.org/wp/assets/uploads/2020/09/BROCHURE-FPL.pdf
  • https://monde-diplomatique.fr/cartes/PPA
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